Home / La une / RDC – Juillet noir à Komanda : comment les ADF/ISCAP ont orchestré l’une des attaques les plus meurtrières de l’année

RDC – Juillet noir à Komanda : comment les ADF/ISCAP ont orchestré l’une des attaques les plus meurtrières de l’année

Tôt dans la nuit du 26 au 27 juillet 2025, la cité stratégique de Komanda, au croisement des routes commerciales de l’Ituri, a été frappée de plein fouet par un assaut coordonné des Forces démocratiques alliées (ADF), opérant sous la bannière de l’État islamique en Afrique centrale (ISCAP). Cette attaque, soigneusement planifiée, a coûté la vie à au moins 41 civils et laissé une centaine de blessés. L’événement marque un tournant inquiétant dans la résilience opérationnelle du groupe terroriste, malgré les offensives militaires congolaises et ougandaises en cours.


« C’était comme si l’enfer s’était abattu sur nous », témoigne Justin, un commerçant de 36 ans, encore couvert de suie, devant les ruines calcinées de sa boutique. « Ils sont sortis de nulle part. »

Une infiltration en trois temps

Selon African Security Analysis (ASA), qui avait identifié les mouvements ennemis dès le 6 juillet, les ADF ont mis en œuvre une stratégie en trois phases : infiltration progressive à partir de Pakango, repérage autour de Komanda, puis assaut par diversion.

Une première colonne, camouflée parmi des civils, a descendu discrètement les bananeraies du sud de Mungamba. Une alerte « drapeau rouge » émise par ASA le 20 juillet mentionnait explicitement Komanda comme cible potentielle. Une seconde alerte le 25 juillet, à 14h30, signalait une colonne armée sur la crête de Bulembi. Aucun dispositif défensif n’a été érigé par les FARDC (Forces armées de RDC), en dépit des signaux répétés.

« La faille n’est pas dans l’alerte, elle est dans la chaîne de commandement », analyse un officier ougandais sous couvert d’anonymat. « Il y a un trou entre renseignement et réaction. »

Le coup de force

À 23h50, deux tirs à l’arme légère détournent les patrouilles FARDC vers l’ouest de Komanda. Simultanément, le gros du commando s’infiltre à l’est et attaque une veillée catholique à la paroisse Sainte-Bienheureuse-Anuarite. À la machette d’abord pour retarder les alertes, puis à l’arme automatique. Trois magasins sont incendiés, un camion est brûlé, une dizaine d’adolescents sont enlevés. Les assaillants disparaissent avant l’aube par les sentiers du Mont Hoyo.

« Il s’agissait moins d’un massacre opportuniste que d’un acte programmé, visant à semer la terreur, faire diversion, et garantir un passage sécurisé pour des chefs clés du groupe », déclare Esther Mbayo, analyste pour ASA.

Conséquences régionales : la menace d’un effet domino

Depuis la dislocation partielle des bastions ADF au Nord-Kivu en 2024, les groupes résiduels ont essaimé en Ituri. Komanda, cité-carrefour entre Bunia, Beni et Kisangani, est aujourd’hui en première ligne.

Le 28 juillet, deux chauffeurs de taxi-moto sont décapités à Sokotano, à 12 km à peine de Komanda. Un leurre sanglant, destiné à détourner les FARDC pendant qu’un convoi ADF traversait l’axe Oicha-Eringeti. L’objectif, selon ASA : permettre à Musa Baluku leader présumé du groupe de recevoir des soins médicaux par un praticien étranger, escorté discrètement à travers la forêt d’Irumu.

« Ce n’est plus une insurrection villageoise. C’est une campagne militaire éclatée, multisectorielle et stratégiquement pensée », estime un diplomate britannique à Kinshasa.

Un style de guerre asymétrique

Les ADF/ISCAP ont adapté leur doctrine de combat aux terrains accidentés de l’Est congolais : infiltrations nocturnes, caches en milieu rural, usage de la terreur pour contrôler les routes économiques et la population locale. Le groupe privilégie les cibles religieuses pour amplifier l’impact émotionnel et sectaire. Les combattants se déplacent avec leurs familles et enterrent leurs armes dans des latrines jusqu’à l’assaut, selon les observations croisées d’ASA et d’ONG locales.

Des cellules dormantes jusqu’à Kinshasa ?

Des informations convergentes obtenues par ASA laissent entendre que des cellules ADF/ISCAP planifient des attentats dans des centres urbains, notamment Kinshasa. L’intention serait de marquer une forme de réengagement symbolique avec l’État islamique central et de frapper là où la sécurité est perçue comme acquise.

« Ils veulent que la guerre soit partout », prévient Pastor Elie Kalonda, évêque de Bunia. « Mais notre foi et notre unité sont notre première défense. »


Recommandations stratégiques (ASA)

1. Système d’alerte communautaire : formation de comités de vigilance villageois avec radios HF.

2. Sécurisation des axes logistiques : escorte militaire des convois alimentaires, cacao et carburant.

3. Protection des lieux de culte : patrouilles visibles, report des veillées, éclairage renforcé.

4. Comités civilo-militaires : réunions hebdomadaires FARDC-administrateurs-chefs coutumiers.

5. Réaffirmation de l’autorité de l’État : désignation rapide de chefs coutumiers et présence administrative continue.

Le défi de la confiance

Au-delà des blindés et des alertes, la confiance entre civils et armée est la clé. Les accusations hâtives du commandant de secteur envers

« des fils de Komanda complices » ont envenimé les relations.

Des initiatives conjointes patrouilles mixtes, forums villageois, communication transparente sont désormais vitales.

L’attaque de Komanda révèle la capacité intacte des ADF/ISCAP à frapper avec précision et brutalité, en exploitant chaque faille de coordination. Si l’alerte est ignorée, le sang coule. C’est le message froid que la nuit du 26 juillet laisse à l’Ituri. Et peut-être, à tout le pays.


Picard Luhavo

Étiquetté :

Répondre

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *