Le dernier rapport de l’organisation Freedom House, « Freedom in the World 2025 », confirme une tendance persistante au recul des libertés fondamentales au Rwanda. Le pays d’Afrique de l’Est est à nouveau classé comme « Non libre », avec un score global de 21 sur 100, en baisse par rapport à l’année précédente. Ce classement reflète des restrictions sévères aux droits politiques et libertés civiles, malgré une stabilité institutionnelle apparente et une croissance économique saluée par plusieurs partenaires internationaux.
Une présidentielle verrouillée
En juillet 2024, le président Paul Kagame a été réélu pour un quatrième mandat avec 99,2 % des voix, un résultat qui suscite des critiques tant au niveau national qu’international. Les principaux opposants, Victoire Ingabire Umuhoza et Diane Rwigara, ont été écartés du processus électoral. L’une pour des raisons judiciaires controversées, l’autre pour « absence de documents adéquats » selon la Commission électorale nationale.
Seuls deux candidats, issus de formations tolérées par le régime, ont été autorisés à se présenter. Le Parti vert démocratique et quelques indépendants tous très marginaux n’ont recueilli qu’une fraction des suffrages. Un scrutin qualifié de « simulacre de compétition » par plusieurs observateurs indépendants.

Une opposition muselée
Depuis son arrivée au pouvoir en 1994 à la suite du génocide, le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame exerce un contrôle quasi-total sur l’espace politique. Toutes les formations autorisées appartiennent au Forum consultatif national des partis politiques, dominé par le FPR. Les tentatives de structuration d’une opposition réelle sont systématiquement entravées : interdiction de partis, arrestations arbitraires, exils forcés, voire assassinats ciblés à l’étranger.
Les électeurs comme les candidats sont soumis à un climat d’intimidation permanent. « La peur règne, même dans la diaspora », commente un militant basé à Bruxelles. En 2024 encore, plusieurs Rwandais exilés ont été victimes de menaces, de disparitions, voire d’agressions mortelles, notamment en Afrique du Sud.
Libertés civiles sous surveillance
Le rapport pointe également de graves restrictions aux libertés d’expression, de réunion et d’association. Les médias indépendants sont pratiquement inexistants dans le pays. La censure, l’autocensure et la surveillance numérique généralisée empêchent tout débat public libre.
Les journalistes critiques, comme Dieudonné Niyonsenga emprisonné et victime de mauvais traitements selon ses avocats , sont régulièrement arrêtés. Les blogueurs actifs sur YouTube sont également pris pour cible, tandis que les médias étrangers sont bloqués ou inaccessibles.
Les libertés religieuses, académiques et syndicales sont également sous contrôle. Des milliers de lieux de culte ont été fermés depuis 2018 pour « non-conformité réglementaire », et la marginalisation des voix critiques dans les universités est systématique.
Une justice dépendante et des abus persistants
Le système judiciaire rwandais est qualifié de non indépendant par Freedom House. Les juges sont nommés par le président et validés par un Sénat dominé par le FPR. Les procès des opposants se déroulent souvent à huis clos, sans respect du droit à une défense équitable. La torture, les détentions arbitraires et les disparitions forcées demeurent des pratiques rapportées par les ONG internationales.
Le soutien présumé du Rwanda au groupe armé M23 en République démocratique du Congo, dénoncé dans un rapport d’experts de l’ONU en mai 2024, vient alourdir le bilan sécuritaire du pays. Selon ce document, entre 3 000 et 4 000 soldats rwandais seraient présents sur le sol congolais, en soutien à cette rébellion accusée de graves exactions.
Enjeux et paradoxes
Malgré ces constats alarmants, Kigali reste un partenaire stratégique pour de nombreux pays occidentaux, notamment en matière de sécurité régionale et de lutte contre l’instabilité dans la région des Grands Lacs. Ce paradoxe alimente un débat sur la complaisance internationale face aux dérives autoritaires du régime rwandais.
« La stabilité ne peut justifier l’effacement des libertés fondamentales », estime un diplomate européen sous couvert d’anonymat. Alors que le président Kagame pourrait, selon la Constitution amendée en 2015, se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034, la question d’une ouverture démocratique véritable reste plus que jamais en suspens.